jeudi 7 mars 2019

Mary-Louis-Arsène COURTOIS


Un soldat dans la grande guerre



Mary - Louis - Arsène Courtois
1898 - 1918




                                                        Louis était le grand frère de ma grand-mère paternelle, Rose, Madeleine Courtois, épouse Boulay. Je ne l'ai pas connu car il est mort à 19 ans, le 29 avril 1918 mais il a toujours été présent dans mon enfance. Son portrait trônait dans l'appartement que ma grand-mère partageait avec ses deux sœurs depuis son veuvage. Elles en parlaient comme si il était mort la veille, avec beaucoup d'amour et de chagrin alors qu'elles étaient enfants voire bébé quand il est mort. Je ne crois pas qu'elles avaient réussies à faire le deuil de ce grand frère adoré dont elles cultivaient le souvenir.

        Premier né et seul garçon des neuf enfants qu'auront Alexandre Courtois et sa femme Émilienne Chauveau, Louis nait le 5 juin 1898 à 11h du matin, dans la maison de ses parents aux Châtelliers-Notre-Dame en Eure-et-Loir (28). Ils lui donnent les prénoms de Mary, Louis, Arsène. Mais c'est par son deuxième prénom qu'il sera appelé. 
A sa naissance son père, Jean-Joseph-Alexandre, à 30 ans et est bûcheron. Sa mère, Emilienne-Alexandrine-Adrienne-Ambroisine, à 22 ans et s'occupe de tenir la maison. Ils se sont mariés un an plus tôt, le 10 juillet 1897 à Magny, village natal d'Emilienne, situé à 5 km des Châtelliers. Tous les aïeux paternels ou maternels de Louis sont originaires, ou habitent, aux alentours dans un rayon de 10 km.

        Sur l'acte de naissance de Louis, on peut lire que la grand-mère maternelle de Louis, Ursule-Marie-Victoire Cailleaux, épouse de Jean-Baptiste -Marin Chauveau, domicilié à Magny, signe en tant que témoin. Elle sera également citée pour la naissance suivante. Par la suite je ne sais pas, Ursule n'apparaissant pas sur les actes de naissance des autres sœurs de Louis. Mais il y a de grandes chances qu'elle soit présente au domicile de sa fille. Avant l'avènement des maternités, lorsque les futures parturientes ne retournaient pas accoucher chez leur mère, souvent ces dernières se déplaçaient pour aider leur fille. On peut aisément imaginer Ursule faire à pieds les 5 kms la séparant de sa fille. ou peut-être en voiture à cheval... 





        C'est entre la mort de la troisième enfant du couple, Béatrice, âgée de 7 mois, le 8 août 1901, et avant la naissance de ma grand-mère, Madeleine, née le 5 octobre 1902, que la famille quitte Les Châtelliers-Notre-Dame, petite commune du Perche de 159 habitants au recensement de 1896, pour s'installer à Frazé, village de 1121 habitants au recensement de 1901. Frazé est situé à 16 km au sud-ouest des Châtelliers. Alexandre a trouvé une place de jardinier-bûcheron au château. Joseph Dulong de Rosnay, le nouveau propriétaire du château de Frazé veut remanier les jardins. Il y arrivera si bien que son jardin deviendra entre les deux guerres, un jardin modèle que l'on vient visiter de loin. 

Louis et ses sœurs
(de gauche à droite) Denise, Marthe, Madeleine, Marie-Louise



Louis âgé d'une dizaine d'année

                        
        Louis va à l'école du village et passera sont certificat d'étude. Ensuite il deviendra jardinier-fleuriste. Aujourd'hui on dirait horticulteur. Il travaillera un temps avec son père au château, puis au manoir du Grand Cormier, toujours sur la commune de Frazé.

        Chez les Courtois, l'instruction est très importante. A travers les différentes actes de naissance ou de mariage, j'ai pu me rendre compte que les ancêtres de Louis sont très nombreux à savoir signer, surtout les femmes, et ça dés le 18e siècle. Pas de simples signatures maladroites mais de belles signatures bien assurées et lisibles. D'ailleurs ma grand-mère avait la passion des livres, surtout les livres d'histoire, et elle en offrira beaucoup à ses petits-enfants. 
Aline, l'avant dernière de la famille, malgré sa quasi cécité, écrira de la poésie toute sa vie.









           Au moment où la guerre éclate, Louis a 16 ans. Il sera mobilisé trois ans plus tard, le 2 mai 1917, un mois avant ses 19 ans. A cette époque il fréquente une jeune fille mais je ne connais pas son nom. Les sœurs de Louis ont toujours dit du mal d'elle, que ce n'était pas une personne aimable. Mais est-ce vraiment la vérité, ou de la jalousie face à une fille qui leur piquait leur frère ? On peut se poser la question, d'autant que certaines des filles Courtois avaient un caractère bien trempé, tout comme Louis d'ailleurs, et pouvaient être très désagréables quand les choses n'aillaient pas dans leur sens. Ma grand-mère et ses enfants en feront l'amère expérience quand elle se retrouvera veuve, mais c'est une autre histoire ... 

        Grâce à la fiche matricule et au livret militaire de Louis, on a la chance d'avoir une description de son physique. A 19 ans, il mesurait 1m52. son père Alexandre faisait 1m57. Ma grand-mère et ses sœurs n'étaient pas plus grandes, et mon père faisait 1m65. Dans cette famille on n'est pas très grand. Comme en témoigne aussi les fiches matricules des cousins et oncle de Louis.
Au physique Louis avait les cheveux châtains clairs, les yeux bleus, le front moyen et fuyant, le nez convexe long, et le visage ovale. Caractéristiques que l'on retrouve aussi souvent chez les Courtois. 


Fiche matricule de Louis
archives départementales d'Eure-et-Loire


Extrait du livret militaire de Louis

         Louis ne fera pas de service militaire. Pour lui se sera directement l'apprentissage de la guerre. Le 1er mai 1917, il est incorporé au 115e Régiment d'Infanterie, 27e compagnie, basée à Mamers (72). Leur devise est : "Jamais content". Il y entre comme soldat de 2e classe sous le numéro 14-847
Dans de nombreuses lettres qu'il envoie à ses parents et à sa sœur Marthe, Louis décrit surtout la vie à la caserne. Ce n'est qu'en mars 1918 qu'il rejoindra le front et le 156e Régiment d'Infanterie, 2e bataillon. Il sera tué quelques semaines après.

Caserne du 115e RI à Mamers (72)



        Dés le lendemain de son incorporation, l
e 2 mai, Louis se fait vacciné contre la fièvre typhoïde. Le vaccin avait été mis au point en 1915 pour enrayer cette maladie des mains sales, qui tuait autant que les bombes. Ce vaccin se faisait en plusieurs injections à quelques semaines d'intervalles et rendait bien malade, comme le décrit Louis dans une lettre adressée à ses parents le 11 mai 1917 :


"[...] Je vous dirais que l'ont nous a vaccinés tantôt à 2h pour la seconde fois contre la fièvre typhoïde a l'épaule et il nous enfonçais une aiguille de 10cm dans la viande et je vous prie de croire qu'il y en avait qui tombaient beaucoup sur le carreau après. Il y a beaucoup de malade, le bras gauche est inerte. Il y en a 2 ou 3 dans la chambre qui vont pas très bien. Quand à moi je me sent pas pour le moment mais demain je crois que ça sera mon tour. On en a pour 2 ou 3 jours à être exempt d'exercice. et aujourd'hui en 8 jours on recommencera une autre piqure mais plus forte encore. enfin c'est le métier qui veut ça et il n'y a pas lieu de s'en faire. [...]"

Autre maladie qui sévit à la caserne, la scarlatine.  "[...] la fièvre scarlatine court en ce moment beaucoup à la caserne. Nous avons des sections de consignées pour cela et je crois même bien que si ça continue nous allons être obligé d'évacuer la caserne et aller en cantonnement plus loin. Moi pour le moment je suis en bonne santé et j'espère bien que la scarlatine ne m'empoigneras pas [...] Lettre du 25 juin 1917.

      Louis raconte dans ses lettres sa formation de soldat basée essentiellement sur la marche et l'endurance. Le podomètre est le témoins de la performance du fantassin. A cette époque le fantassin est avant tout un soldat qui doit être capable de parcourir à pieds de grandes distances le plus rapidement possible, sac au dos. Louis en parle souvent de ses longues marches, de nuit le plus souvent. A part le train, les soldats rejoignaient leur cantonnement à pieds, marchant des jours et des nuits entiers.

Bataillon en route pour la Champagne, 1914


   1914                   1917



"[...] Je vous dirai que nous revenons d'une marche de nuit de trente kilomètres et il est 9h1/4 du matin et je vous prie de croire que l'on en a plein les pattes surtout que l'on charge toujours petit à petit les bonhommes. Je vous garantis que l'on n'a pas envie de retourner les plumards, enfin cela nous fait les jambes. [...] Lettre du 31 juillet 1917

" [...] Pour l'instant nous avons deux jours de repos et c'est du repos bien gagné. Ces jours ci nous avons été au champ de tir à 7 km d'ici faire des tranchées et du tir. Nous sommes en train de recommencer ce que nous avons fait dés les premiers jours  pour nous classer par groupes des forts, des moyens et des faibles. [...] Lettre du 27 mai 1917

         La manœuvre et le tir sont inséparables comme au temps des guerres napoléoniennes. D'ailleurs la formation militaire n'a guère changé depuis l'époque des grognards de Napoléon, un siècle plus tôt. Le fantassin ne doit faire qu'un avec son arme. Il doit savoir le charger et tirer en position debout et horizontal tout en respectant les ordres donnés par le commandant "Feu à volonté",  "Cessez le feu". Le tir n'est là que pour faciliter l'avancer sur le champ de bataille et ainsi pouvoir atteindre l'ennemi au corps à corps avec la baïonnette. Avant 1914, il existait même une discipline : l'escrime à la baïonnette. Cette discipline était pratiquée à la Belle Epoque dans toutes les casernes de France. Elle était considérée comme un sport, et en tant que telle, la baïonnette était une épreuve des championnats de France militaires d'escrime au même titre que le sabre ou l'épée.

    Louis ne parle qu'une fois de la baïonnette, dans sa première lettre lorsqu'il décrit son paquetage. Ensuit il n'en parle plus lorsqu'il décrit ses entraînements. Peut-être parce que depuis le début de la guerre, elle s'est révélée peu pratique dans les tranchées. Trop longue, prenant trop de temps à installer, elle sera remplacée par la pelle, l'arme de poing (révolver), le poignard, la grenade, le lance flamme. Entre 1914 et 1917, la guerre a évolué aussi bien au niveau de l'uniforme, plus discret, que de l'armement. La guerre se modernise. Mais ce qui ne change pas c'est que le soldat n'existe pas en tant qu'individu. Seul compte l'action collective, le feu de ligne et les opérations menées par groupe. Le terme de chair à canon prend tout son sens lors de cette guerre et on le sent dans les lettres de Louis.


        Du 15 juin au 1er septembre 1917, il suit l'entrainement de protection contre les gaz.
"[...] Aujourd'hui nous allons nous exercer à mettre des masques contre les gaz asphyxiants.[...]" Lettre adressée à ses parents le 25 juin 1917

        Du 17 au 28 décembre 1917, il fait un stage de grenadier et obtient la mention "voltigeur bon". 

        Tant qu'il est à Mamers, Louis a droit à des permissions qui sont assez aléatoires. En plus de la vie de la caserne, c'est un sujet récurrent dans ses lettres ainsi que la demande d'argent pour pouvoir prendre le train. 
"[...] Je vous dirais que je suis bien arrivé à la caserne dimanche soir et en bon port et nous étions beaucoup car vers la fin de la semaine ont doit nous distribuer nos livrets militaires. [...]
Pour un homme de la belle époque, le livret militaire est très important car c'est ce document qui lui permet de justifier son état civil. La carte d'identité date de 1921. C'est également sur le livret militaire que sont indiqué le lieu et le délai que doit mettre la jeune recrue pour rejoindre son régiment lors de sa mobilisation et qu'il sert de bon de transport. Là pourquoi on leur donne leur livret militaire 4 mois après leur incorporation, mystère ? A travers les lettres de Louis on a l'impression qu'il y avait de nombreux problèmes d'organisation.

        Le 25 mars 1918, Louis quitte le 115e RI pour le 156e régiment d'infanterie qui a subi d'énormes pertes et qui se trouve en Belgique dans la région de Ypres aux côtés des unités britanniques et canadiennes. Avec ses compagnons du 2e bataillon, il participera à la Bataille des Monts de Flandre. 
Dans la nuit du 28 au 29 avril, ils relèveront en première ligne leurs camarades du 1er bataillon pour continuer le combat face aux allemands et les empêcher de passer le Mont Scherpenberg et de prendre la route de Locre. Ce sera une véritable boucherie. Des bataillons entiers seront décimés dont le sien. 
Lors de ces violents combats, Louis sera blessé à l'abdomen et à la jambe gauche. 
Il décèdera des suites de ses blessures le 29 avril 1918, à l'ambulance anglaise 13 Casualty clearing station à Arnèke (59).

Louis repose dans le cimetière militaire britannique d'Arnèke, tombe 111.

Sa dernière lettre datée du 21 avril 1918, est pour sa sœur Marthe dont il était très proche.



"Je t'envoie ces quelques mots pour te faire savoir que je suis en bonne santé en ce moment et je désire que la tienne doit être de même. Pour le moment je suis en Belgique près de la frontière alors tu vois j'ai pas mal voyagé. Ici le temps n'est guère rassurant, de la grêle ou de la neige quand ce n'est pas du soleil. Je compte soit demain ou après demain être en réserve ou en ligne. Si tu ne sais pas mon adresse tu la demanderas à Frazé, mais ça doit être la même que je t'ai envoyée la dernière fois toujours à la 1ère compagnie car il est défendu de donner trop d'indications contre les espions.
Je termine cette carte en t'embrassant bien fort, ton frère qui t'aime pour la vie. L. Courtois "








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